26 janvier 2015

Klyuchevskoy et Shiveluch: deux volcans aux éruptions mixtes bien différentes (mis à jour 27 janvier)

On vous l'aura certainement dit et redit, rabâché quand vous étiez à l'école: il existe sur Terre des "volcans rouges" et des "volcans gris". Cette terminologie, lorsqu'elle a été créée, avait pour vocation de faire la distinction entre les éruptions violemment explosives, et les éruptions effusives.
Mais au passage c'est l'explication même de ce qu'est une éruption qui a été sacrifiée et c'est devenu, en tout cas pour moi, un exemple de ce qu'il ne faut pas faire dans le domaine de la vulgarisation
(médiation): vouloir tout simplifier.
Faire accepter que les choses sont complexes, et faire comprendre pourquoi, plutôt que faire croire que les choses sont simples: c'est pour moi le cœur de métier de la médiation, la ligne directrice.

Et cela commence par l'utilisation d'un vocabulaire adapté, donc exit "volcans rouge ou gris", "volcans explosifs ou effusifs":  des expressions que vous ne verrez jamais employés sur ce blog.
Pourquoi? Parce qu'un volcan n'est pas forcément le siège du même schéma éruptif dans le temps. Même les volcans-bouclier, dont la construction s'étire sur des centaines de milliers d'années et largement dominés par des coulées de lave, peuvent aussi connaitre des événements volcaniques de très grande violence.
Par ailleurs les expressions  "volcans rouge ou gris", "volcans explosifs ou effusifs" disent de manière implicite que les volcans sont la cause des éruptions...alors qu'il n'en sont que la conséquence.
Après de nombreuses, et riches, interactions avec divers publics (enfants, parents, enseignants) j'ai finis par préférer mettre l'accent sur les phénomènes éruptifs plutôt que sur les volcans. Éruptions "explosives", "effusives" ou "mixtes" sont donc les expressions que j'ai substituées à "volcan rouge, gris, explosif,effusif".

Un volcan ne peut se résumer à un style d'éruption, et une éruption se résume rarement à un  phénomène (même si c'est le cas au Kilauea actuellement, ça ne l'est pas si on considère tout ce qui s'est produit depuis le début de son éruption, en 1983).
Il est plus que fréquent de voir en fait plusieurs phénomènes se dérouler, simultanément ou non, pendant une phase éruptive. Certains phénomènes (on parle aussi d'"aléa") relèvent de l'"effusion", d'autres de l'"explosion".
Aussi, la plupart des éruptions sont en réalité mixtes: à la fois effusives et explosives et le Kamchatka nous en montre ce matin deux exemples avec l'éruption mixte du Klyuchevskoy,  et celle du Shiveluch.
Cette situation est d’autant plus intéressante, et pédagogique, que les deux édifices sont voisins et montrent deux éruptions simultanées aux caractéristiques opposées.

L'éruption du Klyuchevskoy a débuté fin décembre-début janvier. Au départ il ne s'agit que d'une activité explosive, strombolienne, située au sommet de l'édifice. Le style strombolien se caractérise par des projections de lave intermittentes (activité explosive) relativement rapprochées dans le temps (secondes/minutes/dizaines de minutes tout au plus). Elles correspondent à la remontée de bulles de gaz dans une cheminée déjà pleine de magma. Les bulles éclatent et la roche fondue gicle, découpée en morceaux appelés "bombes", "lappilis" ou "cendres" selon leur taille. Les cendres, plus légères, forment un panache en chapelet, dû à l’intermittence des explosions. Les images réalisées depuis ont montré que ce sont deux évents qui sont le siège de ces explosions.

Mais le dynamisme strombolien peut, sans que ça soit une obligation, aussi produire des coulées de lave. Elle apparaissent lorsqu'un volume trop important de magma est poussé vers le haut par les bulles de gaz. Une partie de toute cette lave déborde alors et coule, simplement. En fonction de la fluidité, de la pente, du débit, de la nature du terrain (neige/glace etc) la lave progresse plus ou moins rapidement.  Pour l'éruption en cours la lave a pu commencer à déborder autour du 10 janvier, car le 11 elle s'étirait déjà sur presque 800m de long, sur le haut versant sud-est du magnifique stratocône du Klyuchevskoy.
 
La coulée de lave du Klyuchevskoy, le 11 janvier 2015. image: LANDSAT 8/USGS

En contact avec une couche de neige ou de glace, des explosions secondaires peuvent se produire, et générer un type d'écoulement pyroclastique particulier, qui ne semble pas encore avoir de nom officiel, mais qui est très étudié depuis un décennie. Pour le moment il ne semble pas que cela ce soit produit dans l'éruption en cours, mais cela peut toujours changer...

Les caractéristiques de cette activité sont le résultat de l'émission d'un magma fluide. Dans la cheminée de l'édifice il laisse transiter les bulles de gaz sans trop de résistance, ce qui permet de générer de nombreuses explosions d'intensité modeste,  plutôt qu'un nombre restreints d'explosions plus violentes.

La viscosité différente des magmas actuels du Shiveluch sont la raison première du fait que son activité, mixte aussi, soit si radicalement différente.

Le magma du Shiveluch n'a en effet pas la fluidité necessaire pour s'étaler sur le sol à sa sortie. Emis déjà à l'état semi solide et à très faible débit , il s'accumule quasiment sur place. Cette effusion de lave très visqueuse est appelée "extrusion" pour marquer,c'est important, la différence de comportement avec les laves fluides.
La masse de lave ainsi accumulée est appelée "dôme" et il en existe de plusieurs types, en fonction de leur morphologie.
Ces magmas visqueux ne laissent pas s'échapper facilement le gaz qui, par ailleurs, sont presque à chaque fois plus concentrés que dans les magmas fluides. Il s'agit là du résultat d'un mécanisme d'évolution des magmas suite à leur production dans le manteau: la cristallisation fractionnée. C'est une sorte de tri qui s'opère avec le léger refroidissement que subit le magma lors de sa remontée vers la surface. Les éléments chimiques qui le constituent se combinent sous la forme de cristaux, qui apparaissent successivement. Sauf que les gaz ne rentrent pas dans ces combinaisons et plus le magma évolue, plus la quantité de cristaux produit est grand, plus la quantité de magma liquide qui reste diminue...et plus le gaz s'y concentre. Cela a pour conséquence de produire des magmas hypervisqueux d'une part, mais surtout hyperpressurisés!
C'est la raison pour laquelle les magmas visqueux sont souvent, mais pas systématiquement, synonymes d'éruptions explosives puissantes.

Pour le Shiveluch l'activité est quasi permanente mais le gaz ne pouvant être libéré aussi rapidement qu'il n'arrive des profondeurs, il se créé des phases de mise sous pression qui finissent par faire sauter le bouchon de lave visqueuse qui obstrue le cratère. L'effusion, ou plutôt l'extrusion, est ici très faible mais explique le fait que les explosions soient peu fréquentes (1 tous les 7 à 10 jours en ce moment) mais bien plus puissantes. Le dynamisme ici est alors décrit comme "Vulcanien" plutôt que strombolien.

Celle d'aujourd'hui s'est déclenchée en fin de journée au Kamchatka (18h29 heure locale, 07h29 en France). Les fragments de bouchons mélangés au sommet de la colonne de magma ont été fragmentés:

* en bombes qui sont retombées jusque sur les pentes externes du Jeune Shiveluch (voir mon post du 24 septembre dernier pour en savoir plus), soit à une distance de 1500m de l'évent où s'est produit l'explosion.
* en cendres à l'origine d'un imposant panache qui s'est élevé jusqu'à 7600m d'altitude environ. Il n'a mis que 5 minutes pour atteindre cette altitude soit une vitesse moyenne d'ascension de 17 mètres par seconde (60 km/heure).


Juste après l'explosion, le Jeune Shiveluch est couvert de bombes incandescentes et le panache s'élève. Image: KVERT.

5 minutes après l'explosion le panache est déjà à son altitude maximale. Image: KVERT

Lorsque de telles quantité de cendres sont produites les frictions qui sont généréeslorsqu'elles se percutent provoquent une séparation de charge éléctriqui qui provoquent une mise sous tension du panache: celui-ci est alors zebré d'éclairs.
Et, pour la première fois depuis que je regarde les webcams (plus d'une décennie), l'un de ces éclairs a pu être capturé par l'une d'elles et, coup de chance double, par la webcam pointé sur ce volcan qui a le champs de vision le plus réduit.

Eclair intrapanache lors de l'explosion du volcan Shiveluch, 26 janvier 2015
L'un des éclairs intrapanache produit par l'explosion de ce matin et miraculeusement capturé par la webcam du KVERT. Le dôme et le profil générale du volcan sont indiquée pour servir de repères Image: KVERT

Les deux éruptions ci-dessus, mixtes bien que très différentes, ont ainsi obligé les volcanologues Russes à placer les deux volcans en alerte aviation orange.

Mise à jour 27 janvier, 08h51

J'indiquais plus haut dans ce post que la coulée de lave du Klyuchevskoy n'avaient pour le moment pas généré d'écoulements pyroclastiques. C'est chose faite aujourd'hui avec un bel exemple en fin de journée (au Kamchatka) qui est apparu vers 17h40 (heure locale). La série d'images qui suivent permettent d'estimer sa vitesse de progression puisque partie d'environ 3600 m d'altitude, le front atteint l'altitude d'environ 2200m en 2 minutes, soit 120 secondes, ce qui donne une vitesse d'environ 12 m/s, soit grosso modo 42 km km/h.

Ecoulement pyroclastique sur le volcan Klyuchevskoy, 27 janvier 2015
L'écoulement pyroclastique et son panache "copyroclastique" vus de Klyuchi. Images: KVERT/ Montage et annotations: Culture Volcan

Ecoulement pyroclastique sur le volcan Klyuchevskoy, 27 janvier 2015
Le même mais vu par une webcam zoomée. Images: KVERT/ Montage et annotations: Culture Volcan

Il est interessant de noter ainsi que dans certaines circonstances les coulées de lave, fer de lance des "volcans rouges" ou "volcans effusifs", génèrent des écoulement pyroclastiques, la marque des "volcans gris" ou "explosifs". Vous voyez pourquoi les dénominations que je viens de citer sont inadaptées.
Les mécanismes à l'origine, et généralement les volumes aussi, sont certes différents entre les écoulements produits par les explosions liées aux magmas visqueux, et ceux qui ont pour sources des coulées de lave. Il n'en reste pas moins qu'il n'est pas possible de restreindre les écoulements pyroclastiques aux seuls magmas visqueux.

Source: KVERT

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire