8 août 2015

L'éruption du volcan Ontake décryptée

Contexte 
La tragédie qui a frappé le Japon en septembre 2014, lorsque le volcan Ontake (200 km à l'ouest de Tokyo) a produit une explosion phréatique, est toujours dans les mémoires en raison de son caractère brusque et du nombre élevé de victimes : 57 décès et 6 personnes disparues et considérées comme décédées, ce qui constitue la plus meurtrière éruption du Japon depuis celle du volcan Torishima en 1902, et la première depuis celle de l'Unzen en 1991 qui emporta les époux Krafft. Dans le monde ultra-médiatisé d’aujourd’hui les
images s'étaient multipliées, très fortes, et le monde entier avait pu compatir à la douleur des familles et de la nation japonaise.
Et puis rapidement la question de la surveillance s'est posée: comment, dans un pays à la pointe de la technologie, plus que familier des phénomènes géologiques en tous genres, cette tragédie a-t-elle pu se produire? La Volcanologie aurait-elle échouée?
Non car on ne peut pas reprocher à une science un échec concernant un phénomène si peu compris, si complexe dans la manière dont il se déclenche, que l'explosion phréatique. J'avais eu l'occasion de donner mon point de vue à ce sujet dans un post dédié dans lequel je revenais sur les circonstances de la catastrophe et les questions qui se posaient après elle.


Idées reçues

Finalement la situation ici ressemble un peu à la tragédie qui avait eu lieu au sommet du Galeras en 1993, et qui avait conduit à la mort de plusieurs volcanologues, réunis en congrès et en sortie sur le terrain. Ce qu'il manquait dans les deux cas de figures c'était la possibilité de reconnaitre le caractère précurseur de certains signaux.
Pour cette raison je suis en désaccord avec, par exemple, une partie de l'article publié par le journal l'Express le 30 septembre 2014 dont l'un des paragraphes s'intitule "Un manque de données exploitables". En désaccord parce que le volcan Ontake est très bien instrumentalisé, les données sont nombreuses, variées et de bonne qualité : il n'y avait donc pas un manque. 
C'est plutôt sur le côté "exploitable" qu'il faut aller chercher le problème mais pas dans les données elles-mêmes: plutôt du côté des outils qui permettent de les comprendre.
Car ce n'est pas le tout d'avoir un grand nombre de données (tout le monde peut avoir un sismomètre installé dans son jardin et enregistrer les moindres secousses locales), encore faut-il être en capacité d'en donner une interprétation fiable et cohérente.
Pour cela il faut:
- avoir les outils mathématiques, sortes de filtres qui permettent le tri, la reconnaissance et l’analyse des différentes signaux.
- avoir un modèle explicatif qui permette de comprendre l'origine, la source, le mécanisme et l'évolution de ces signaux (ouverture de fractures, cavitation ou autres phénomènes physiques) et donc de les caractériser comme des précurseurs.

Une vision trop simpliste de ce que sont ces signes précurseurs consisterait à seulement détecter des secousses pour savoir qu'il va se passer quelque chose.
La réalité est à l'opposé de cette vision-là: il y a tellement de phénomènes à l'intérieur d'un édifice volcanique qui peuvent produire une sismicité (et des signaux de natures différentes) que savoir, à un instant donné, si l'on a affaire ou non à des signes précurseurs d'une future activité en surface est un immense défi. Et puisqu'il n'est pas possible de couper physiquement un volcan en deux pour voir exactement et à chaque instant ce qu'il s'y déroule, les volcanologues n'ont pas d'autre choix que d'élaborer des modèles mathématiques à partir des différents signaux, visant à les expliquer de manière cohérente et satisfaisante.
Et, bien entendu, ces modèles évoluent avec l'analyse desdits signaux: c'est ainsi que progresse la volcanologie, comme toutes les sciences naturelles par ailleurs. C'est un peu le système d'essai-erreur: un modèle, toujours forcément imparfait, permet d'expliquer les signaux connus à l'instant de son élaboration. Mais s'il y a de nouveaux signaux, ou de nouveaux moyens de les analyser, l'ancien modèle devient obsolète et est remplacé par une version plus cohérente avec le nouveau jeu de données.


Ontake: quels précurseurs?

Avec l'étude parue le 16 juillet dernier dans le Earth Planet ad Space (Springer) c'est justement cette évolution de la science qui se manifeste sous nos yeux! Voilà qui est, à mon sens, passionnant.
L'article en question est intitulé: "Preparatory and precursory processes leading up to the 2014 phreatic eruption of Mount Ontake, Japan", en Français: "Processus de préparation et précurseurs qui ont conduit à l'éruption phréatique du volcan Ontake en 2014".
Il est le résultat du travail d'une équipe de chercheurs Japonais pilotée par Aitaro Kato de l'Université de Nagoya. L'équipe a retravaillé l'ensemble des signaux sismiques qui ont été détectés durant le mois précédent l'explosion par 13 stations sismiques disséminées sur et autour du volcan (ils ne manquaient donc pas de données). Quelles sont leurs conclusion?

Les secousses enregistrées avant l'explosion furent de deux sortes:
- les volcano-tectoniques (VT) sont liées à de la fracturation sous l'effet d'une contrainte. Ici il s'agit de la pression exercée par des fluides surchauffés, comme dans tous les systèmes hydrothermaux.
- les secousses dites Longue Période (LP) sont interprétées comme provenant de la résonance d'une fissure emplie de fluides.

Cette sismicité commence très très timidement le 25 août 2014 à environ 4000 m de profondeur sous l'édifice, soit à peu près au niveau de la mer. Elle s'accentue rapidement à partir du 06 septembre 2014 et devient ce que l'on appelle un "essaim sismique.

La sismicité du volcan Ontake entre fin août et fin septembre 2014. Image : A.Kato et al, 2015

Petite digression
Je pense qu'il est important de recontextualiser cet essaim sismique. Car il serait très facile de critiquer : "en voyant ce changement si brusque, pourquoi n'avoir rien fait?". Tout d'abord l'essaim en question n'est pas exceptionnellement important (quelques centaines de secousses étalées sur 3 semaines). Ensuite de nombreux essaims sont enregistrés sur les volcans partout dans le monde sans que cela ne conduise à une explosion. Enfin d'autres paramètres géophysiques, comme la déformation, ne montraient pas de variation particulière, ce qui rendait peu probable l'intrusion d'une masse de magma comme explication de cet essaim.
Mon but n'est pas de minimiser l'importance de ce dernier mais simplement de rappeler qu'au moment où il se produit, il a bien sûr attiré l'attention des volcanologues Japonais, mais il n'était pas possible de savoir sur quoi cela allait déboucher. D'autant plus que, si vous regardez bien le graphique ci-dessus, l'essaim est moins important entre  les 21 et 26 septembre...

Je continue ma digression en regardant du côté du mot "précurseur". Il est, je crois, à prendre avec des pincettes car, paradoxalement, c'est en réalité un terme que l'on emploie plus souvent à postériori d'une éruption. En effet, on ne peux jamais savoir, lorsqu'on commence à enregistrer une sismicité anormale, comment cela va se terminer et si elle va donc être réèllement précurseur d'une manifestation en surface, quelle qu'elle soit (fumerolles, explosion phréatique, éruption etc). On a eu l'exemple récemment, dans les Antilles, avec la crise sismique du volcan Kick'em Jenny: cela n'a pas conduit à une activité éruptive...Mais que signifie cette crise? Se révelera-t-elle finalement avoir été précurseur dans quelques semaines ou mois si une éruption se déclenche?
Je clos là ma digression pour en revenir à ces signaux qui, à postériori, peuvent être définis comme "précurseurs" de la catastrophe de l'Ontake.


Les volcanologues Japonais ont donc retravaillé l'ensemble des données sismiques grâce à des outils mathématiques (des algorithmes) dont un qui leur a permis de relocaliser la position des deux types de secousses. Ils ont alors constaté que l'ensemble de l'essaim se déroule sous le flanc sud de l'édifice (vers 4000 m de profondeur). Tous les séismes sont alignées dans un plan orienté selon un axe Nord-Nord-Ouest Sud-Sud-Est (NNW-SSE) qui s'étire sur environ 1500 m de haut et 700m de large. Il correspond à priori à une zone de faiblesse (faille/fracture) interne à l'édifice et c'est une orientation qui correspond pas mal aussi à la morphologie du massif volcanique tout entier, allongé grosso modo nord-sud: il y a peut-être un lien. Toutefois cette sismicité reste profonde...jusqu'aux 10 dernières minutes avec l'explosion!!
Ce recalcul de la position des secousses permet en effet de constater que c'est dans ce très court laps de temps que les données géophysiques changent de manière importante.
Non seulement les secousses volcano-tectoniques se font brusquement plus fréquentes mais en plus leur position migre rapidement (entre 35 et 70 cm par seconde) vers la surface.
Peu après le début de cette phase sismique, un et un seul tiltmètre*  réagit et montre une déformation du sommet de l'édifice, les appareils situés plus loin du sommet ne mesurent aucune déformation!


Parmi l'ensemble des signaux détectés entre fin août et l'explosion, seuls ceux qui ont été enregistrés durant ces 10 minutes ont valeur (à postériori) de précurseurs aux yeux de l'équipe de volcanologues, dans le sens où ils montrent une modification si rapide que la probabilité qu'un événement, en lien avec eux, se produise en surface devient très élevée.
Qui, en 10 minutes, aurait pu faire quoi, concrètement?

Le modèle déduit de ces données retravaillées

A partir de ce nouveau jeu de données, les volcanologues Japonais ont reconstitué un scénario à même d'expliquer la manière dont les événements se sont déroulés.
Il est connu que le volcan Ontake a un système hydrothermal actif: depuis la fin des années 70 il y a eu à plusieurs reprises des manifestions phréatiques. Comme dans tous les systèmes hydrothermaux une masse de magma libère lentement son énergie calorifique qui chauffe l'eau infiltrée dans le massif.
Ce système se déstabilise visiblement de manière marquée à partir du début du 11 septembre car c'est à cette date que le nombre de secousses volcanotectoniques (fracturation des roches) montre une brusque hausse. Ces secousses restent confinées à une profondeur d'environ 4000m tout au long de la crise, sauf quelques-unes situées à une profondeur un peu moins importante. Quelques jours après la hausse des secousses VT, c'est le nombre de secousses LP, localisées à un profondeur un peu plus faible, qui connait un pic: ce sont les fluides qui s'agitent dans les fractures nouvellement créées.
L'essaim continue comme ça, dominé par les secousses VT, jusque dans les 10 dernières minutes avant la catastrophe.
Dans ce laps de temps une fracture s'ouvre vers la surface. C'est comme si, sous l'effet de la pression des fluides, la zone fracturée allongée du NNW au SSE se "déchirait" en deux. Pas d'un coup non, mais plutôt comme...une fermeture éclair à l'envers: du bas vers le haut. Et à une vitesse estimée entre 35 et 70 cm par seconde, vitesse à laquelle se propage cette fracturation.

Un modèle des causes de l'explosion déduit de l'étude de la sismicité du mois précédent. Image : A.Kato et al, 2015

Le 27 septembre  2014, à 11:52 (heure locale) les fluides surpressurisés qui ont entamé leur migration éclaire 10 minutes plus tôt arrivent à une profondeur si faible qu'ils se vaporisent brusquement** et font sauter les derniers mètres d'épaisseur de roche.
La suite est connue de tous.



* un des appareils chargés de mesurer les déformations de l'édifice
** les anglosaxons expriment bien ce côté quasi instantané par l'expression "flashing into steam"

Source:
"Preparatory and precursory processes leading up to the 2014 phreatic eruption of Mount Ontake, Japan", A.Kato et al, 2015, dans Earth Planet ad Space (Springer).

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Tout d'abord merci pour vos articles toujours complets et d'une grande clarté.
    Le pic de secousses LP suivant la hausse des secousses VT ne peut-il pas maintenant être considéré comme signe précurseur de ce type d'éruption ?
    Sinon, selon vous, quelle solution technique permettrait-elle de détecter par avance ce genre de phénomènes ?

    Bonne soirée

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    1. Bonsoir. Le problème c'est que des crises sismiques avec des secousses VT et LP sont assez fréquentes, pas que Ontake. Mais elle ne conduisent que rarement à une activité en surface.
      Je ne suis pas sûr non plus qu'il faille prendre, pour le moment en tout cas, la situation de l'Ontake comme l'exemple caractéristique de toutes les éruptions phréatiques. Il faudrait par contre réanalyser l'ensemble des signaux produits avant toutes les éruptions phréatiques récentes (disons des 15-20 dernières années, pour être sûr d'avoir des données de qualité) et tenter de modéliser la manière dont elles se sont produites.
      Si à chaque fois on constate que tout se joue dans les minutes qui précèdent l'explosion phréatique, il n'y a concrètement aucun moyen de prévenir les personnes qui seraient sur les volcans concernés. Si au contraire chaque éruption suit un évolution différente, certaines se préparant pendant plusieurs jours et d'autres en seulement quelques minutes par exemple, alors il n'y a pas moyen d'être sûr de ce qui va se passer lorsqu'une crise se déclenche.
      Dans tous les cas de figure, donc, la seule solution qui me semble logistiquement réalisable pour atteindre l'objectif 0 victime, c'est fermer l'accès à tout édifice connu pour avoir un système hydrothermal actif dès qu'une crise sismique se déclare, qu'elle finisse par aboutir à une activité phréatique ou non.
      C'est, me semble-t-il, ce qui se passe depuis l'éruption de l'Ontake: chaque crise (Meakan Dake, Hakone, Zaosan...) a provoqué la mise en alerte 1 au minimum, qui s’accompagne de restriction d'accès.

      J'espère avoir répondu à votre question, que je vous remercie d'avoir posé :-)
      Bien cordialement

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  2. Merci pour ce retour sur l'analyse de l'éruption, c'est très intéressant! D'autant plus que les éruptions phréatiques sont il me semble un phénomène peu connu du grand public. Enfin je fais peut-être de mon cas une généralité, mais je n'avais aucune connaissance de ce phénomène avant l'éruption du Mont Ontake.

    Juste une petite remarque pour dire que la France n'est pas à l'abri de ce genre d'événement. Je m'avance peut-être, mais il me semble que La Soufrière de Guadeloupe pourrait à tout moment connaitre un événement de ce type. La dernière crise de 76-77 avait été précédée d'une crise sismique majeure et pour le coup vraiment anormal, mais comme vous le dites vous même régulièrement, une part d'imprévisible existe toujours. D'autant plus que depuis 92, La Sourière semble être de plus en plus active ( lentement mais continument), avec l'activation de nouvelle fumerolles, une augmentation de l'activité sismique et une augmentation de la température des sources. Rien de vraiment significatif d'une éruption prochaine, mais quand même. Et c'est d'ailleurs un autre problème que je vois avec ces fameux signes précurseurs : ils peuvent s'étaler sur des années, des décennies. Il est plus facile de prendre des mesures préventives lorsqu'on pense qu'une éruption va arriver dans les prochains jours, que lorsqu’on pense qu'une éruption peut arriver bientôt sans savoir quand, surtout quand aucune éruption n'est arrivée depuis longtemps et que le souvenir de l'aléa s'efface.

    C'est en tout cas mon avis, mais je suis loin d'être un volcanologue avec de l'expérience.

    Pour finir une petite question concernant l'éruption du volcan Yakushima en mai dernier. Elle avait été très soudaine aussi, et il me semble que l'analyse des cendres avait montré la présence de materiel neuf. L'éruption n'avait je crois pas été prédite non plus, savez-vous si une étude est en cours pour analyser à postériori les signes précurseurs?

    Bien cordialement,

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