2 octobre 2015

Les mares de lave du volcan Piton de la Fournaise

Pour moi il est essentiel de rendre à César ce qui lui appartient: je précise donc tout de suite que ce sujet m'a été indirectement inspiré par Ludovic Leduc, lecteur et commentateur sur ce blog,  qui vit à la Réunion et suit de près l'éruption en cours. L'idée m'est venue suite à  une vidéo qu'il m'a faite passer cette semaine et au résumé de ses observations.

Au soir du 28 septembre, Ludovic était donc sur place pour observer à nouveau l’éruption et son évolution, comme il le fait régulièrement depuis son commencement, il y a 40 jours pile aujourd'hui. Dans le résumé de sa soirée il remarque la présence de mares de lave sur le champ de coulées que l'éruption est en train d'édifier. Voilà ci-dessous une image extraite de la vidéo de Ludovic.

Mare de lave - lava pond- du volcan Piton de la Fournaise, 28 septembre 2015
Une mare de lave au volcan Piton de la Fournaise, le 28 septembre 2015. Image: Ludovic Leduc/extrait de vidéo





Ayant déjà croisé à plusieurs reprises ce type d'objet géologique dans mes lectures je le connaissais. Mais je n'ai pas le souvenir de l'avoir déjà vu décrit lors des éruptions du Piton de la Fournaise bien qu'à coup sûr ce type d'objet y soit présent.

Que sont donc les mares de lave?

Les anglosaxons parlent de "lava ponds" ou "perched lava ponds" ("étangs de lave perchées") pour décrire ce type d'objet géologique. Il se met en place dans les champs de coulées et n'a donc rien à voir avec le lac de lave (lava lake). Ce dernier est l'apparition en surface d'une colonne de magma: la surface d'un lac est donc directement connectée avec une chambre magmatique. La mare, quand à elle, n'est que l'accumulation accidentelle de lave, sur la trajectoire d'une coulée, à un endroit donné.

Il s'agit d'un phénomène bien connu et très bien décrit au Kilauea, mais aussi dans de nombreuses autres zones volcaniques: Etats-Unis (continent), dans des zones volcaniques de Californie par exemple, ou en  Islande, dans les coulées de l’impressionnante éruption dite "des feux de Krafla" (1975-1984). Le plus impressionnant d'entre eux (à ma connaissance je précise) dont on ait pu voir la formation en direct reste toutefois celui qui s'est formé au pied du Mauna Ulu* lors de l'éruption de 1969-1974. Son diamètre atteint 150m alors que la plupart du temps ce type d'objet ne fait que quelques dizaines de mètres de large.

Dès les années 90, des chercheurs ont tenté de comprendre quels sont les paramètres qui  permettent à la lave de former ce type de figure. Dès 1993, les chercheurs L.Wilson et E.A.Parfitt indiquent que le flux de lave joue un rôle important dans le diamètre final de la mare et estiment que pour avoir créé celui du Mauna Ulu il aura fallu environ un débit 12 m3 de lave par seconde. Des mares plus petites, comme celle, actuelle, du Piton de la Fournaise, ne nécessitent que des flux plus faibles, de quelques m3 par seconde.

Ces mares se forment lorsque qu'une coulée en progression arrive, à vitesse réduite, sur une zone à très faible pente. Dans une pente forte en effet la lave a tendance à couler dans une direction précise (celle de la plus grande pente) et forme ce que l'on appelle un chenal.
Mais dès que la pente devient faible, la lave se met à s'étaler dans toutes les directions (sauf vers l'amont bien entendu) formant ainsi un front presque circulaire. Dans cette situation l'épaisseur de la coulée diminue et son refroidissement s'accèlère.
C'est là que se mettent en place les "fondations" d'une mare de lave car à cause de ce refroidissement accéléré, le bord circulaire du front commence à ralentir alors que de la lave continue d'arriver depuis l'amont. Cette situation édifie progressivement un relief qui s'épaissit et s'élargit.
Au sommet de ce relief la lave commence à stagner: la mare est formée.

Mare de lave - lava pond- du volcan Kilauea 18 juillet 2014
La mare de lave du Pu'u O'o due à l'activité de la fissure dite "du 27 juin". Image: HVO/USGS
Les variations du flux de lave vont progressivement créer les bords de la mare: lorsque le flux augmente, la mare déborde et dès que ce flux se réduit, la mare se met à niveau du bord. Débordement après débordement, un rempart s'élève: on voit très bien ce dernier sur la capture d'écran mise en début de post. Au fur et à mesure qu'il s'érige, le rempart oblige le niveau du lac à s'élever aussi en altitude: on parle alors de mare de lave perchée (perched lava pond).

Dans la vidéo de Ludovic (voir ci-dessous), on voit des phases de débordement se produire sur cette mare, par exemple à partir d' 1'47". Le premier plan est alors occupé par une coulée qui avance à proximité de la mare mais cette dernière est visible en second plan, légèrement floue à cause de la chaleur de la coulée du premier plan. On peut constater que la lave déborde. C'est peut-être aussi un débordement de la mare qui commence à la 46ème seconde, mais seul Ludovic pourrait le confirmer.


Pour l'anecdote il existe un site, au pied du flanc sud-est du Dolomieu, appelé "Mare de lave", près d'un cône appelé Gros Bénard: il faudrait voir si cette dénomination correspond à ce qui a été décrit ci-dessus ou non (si cette zone n'a pas été ensevelie par les coulées de l'actuelle éruption).

A noter que l'observation d'une mare de lave n'est pas sans dangers: il a été observé lors de certaines éruptions la rupture du rempart, libérant d'un coup le volume contenu.
Pour finir il est interessant de noter que des figures similaires ont été découvertes sur Mars, sur Olympus Mons par exemple. L'étude des mares de lave terrestres peut donc donner des pistes pour comprendre le volcanisme martien, en donnant par exemple accès à des estimations concernant le débit des coulées de lave martienne.
Mare de lave - lava pond- du volcan Olympus Mons, 2010
Ce qui est décrit actuellement comme des Mares de lave, sur le flanc nord d'Olympus Mons.  Image: NASA/JPL/University of Arizona
L'éruption au Piton de la Fournaise est toujours en cours et, d'après les résumés quotidiens de l'OVPF, l'activité est stable d'après les données géophysiques.Cette activité reste malheureusement impossible à suivre en direct à cause d'une météo exécrable.

* un cône du Kilauea, prédécesseur du Pu'u O'o actuellement en éruption


Mise à jour 17h18

Durant la rédaction de ce post l'OVPF a mis en ligne un nouveau bulletin. Dans les grandes lignes, l'éruption ne perd pas en intensité. Le trémor est en hausse légère mais les volcanologues pensent possible que cela soit en partie du aux infiltrations d'eau de pluie. Les déformations sont peut-être en train de s'inverser : une déflation serait en cours sur la partie haute du Dolomieu, mais cela reste à confirmer.
Ce qui est vraiment interessant, je pense, dans ce rapport c'est la présence de la première carte des coulées de cette éruption. Les lobes les plus éloignés se trouvent  à 2600-2700 m de la source et l'on voit bien que ce champ de lave s'est élargit (et probablement épaissit) plus qu'allongé.

Cartographie des coulées de l'éruption en cours. Image : OVPF/IPGP


Sources: merci à Ludovic Leduc; HVO/USGS; OVPF/IPGP; HIRISE; merci à Olivier Dupéré

9 commentaires:

  1. Bonjour

    merci de ces précisions, j'avais effectivement remarqué ce "lac" qui est une mare, qui déborde de temps à autre sur la vidéo de Ludovic.
    je pensais à une nlle bouche: merci des éclaircissements.

    je souhaite poser une question, sur la méthode qui a permis d'établir la cartographie de la coulée au 28 septembre 2015. .
    voici ce que dis le site de IPGP concernant le plan:
    "L’extraction des contours a été réalisée à partir des images de cohérence (obtenues dans la chaine de production des interférogrammes) produites par le service d’observation OI2 (JL. Froger LMV/OPGC)"

    qu'est ce que cela veut dire concrètement ?
    c'est du chinois pour moi... mais cela à l'air très technique.

    Merci beaucoup.

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    1. Bonjour Thomas. Technique ça l'est, clairement, et je ne suis pas du tout spécialiste de la question, mais voilà ce que je peux vous en dire (si des géophysiciens souhaitent corriger qu'ils n'hésitent pas je ne serais pas étonné d'avoir fait des erreurs). Depuis les années 70 les géophysiciens utilisent des ondes radars produites par des émetteurs embarqués sur des satellites pour scanner la surface du sol. Une onde radar d'une fréquence connue est envoyée et le sol la renvoie, jusque là pas de soucis. Sauf que les caractéristiques (fréquence notamment) de l'onde renvoyées sont différentes de celle qui a été émise, en partie à cause des propriétés physiques du sol (rugosité, forme du réflecteur etc).
      Par ailleurs, entre le moment où la première onde est envoyée et le moment où la seconde est captée (le temps de l'aller-retour vers le satellite donc) le satellite s'est déplacé sur son orbite. Enfin l'atmosphère introduit des perturbations dans les signaux.
      Une image radar résulte de l'ensemble de ces phénomènes.

      Lors d'un second passage au-dessus du même endroit (sur une orbite proche c'est le top) une nouvelle image est créée de la même manière.
      L'interféromètrie revient à comparer les deux images pour en tirer une "image des différences", appelé interférogramme. Comme il y a plusieurs paramètres qui introduisent des perturbations lors de l'acquisition des images, les géophysiciens ont développé un outils mathématique qui permet, en traitant l'information contenue dans chacun des pixels de l'image, d'avoir une idée de la qualité de l'interférogramme, sorte de comparaison entre les pixels de chacune des deux images.

      Cet outils est appelé "cohérence" et on peu l'afficher sous la forme d'une image ("image de cohérence", donc) sur laquelle on va voir apparaitre des zones "non cohérentes". Il s'agit d'endroit où les pixels des deux images radar sont absolument différents (cohérence faible).
      Le géophysicien Jean-Luc Froger de l'OPGC-LMV de Clermont-Ferrand, où ont été traitées les données visiblement, a donc produit cette "image des cohérences" pour localiser l'endroit où il y a un relief différent dû à la présence des coulées: c'est la forme du champ de lave. Il faut savoir que la précision concernant les déformations peut aller jusqu'au millimètre dans certains cas!

      Voilà: j'espère avoir été assez clair et ne pas avoir raconté trop de bêtises concernant cette technique d'exploitation des données radar.

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  2. Effectivement, au pied du Gros Bénard existait une vaste zone de laves planes qui, a coup sur, représentait la surface figée d'une mare de lave mise en place en 1972. C'était un endroit idéal pour bivouaquer lors des 2 jours de traversée de l'Enclos que nous avons effectuée, avec Roland Bénard justement, depuis le pas de Bellecombe jusqu'à la route côtière en passant sur la coulée de gratons de 1976. Mais cela c'était en 1986 et depuis les coulée récentes ont tout effacé.....

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  3. Bonjour,

    Eh bien voilà qui répond à mes interrogations. Quelle rapidité ! Encore une fois, merci.
    En effet, on voit clairement une coulée qui progresse au milieu de la mare (40 s de la vidéo) et qui doit déborder par derrière sur le rebord de celle-ci. Cette coulée émerge d’un tunnel (ennoyé à l’extrémité gauche sous la surface de cette mare puisqu’on ne le voit pas) car les projections à ce niveau révèlent une certaine pression. L’intégralité de la mare n’est active qu’au moment de variation de débit (35 s de la vidéo) et quand ces dernières sont importantes, la lave déborde de la mare(en arrière-plan 1’50 min de la vidéo).
    Pour ce qui est de la Mare de lave proche du Gros Bénard, elle doit correspondre plus simplement à un endroit où la lave a stagné car elle n’est pas perchée. Elle ne doit pas être recouverte par les laves de l’éruption car elle se situe à un bon kilomètre du front le plus à l’est (non-actif) si on se réfère à la carte de cohérence en question.

    Bonne journée,
    Ludovic

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  4. Merci à tous pour vos réponses, je me couche moins bête ce soir.

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  5. Bonsoir,
    je me posais la question au sujet des structures au pied du Piton Chisny : lacs de lave, mares qui se sont vidées, ou simples cratère (enfin pas commun en tout cas !) ?? le bord intérieur est tout lisse, l'extérieur fait de vaguelettes (débordement), et surtout ils sont tout en longueur !
    Merci d'avance.

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    1. Bonjour Pascal. Très honnêtement je n'ai pas la réponse sûre et exacte, mais si un jour je vais faire un tour à la Réunion je pense que je me baladerais au Piton Chisny, car les "cratères Aubert de la Rüe" ou "cratères Gueule Rouge" d'après wikipédia semblent très spectaculaires. Vue la morphologie générale je pense plutôt qu'il s'agit de lacs de lave qui se sont vidangés: les mares sont plutôt circulaires et régulières lors qu'on a affaire là à des rempart de forme allongée et au bords très irréguliers. Par ailleurs, et c'est surtout ça qui me fait dire qu'il s'agit de lacs de lave (en plus du fait que leur forme allongée ressemblent étonnement à ce qu'à produit l'éruption du Bardarbunga en plaine d'Holuhraun), ils se trouvent à la source et non pas en aval des évents. Ces bouches ressemblent donc plus aux évents eux-mêmes qu'à des figures qui apparaissent plus bas sur les coulées comme le sont les mares.
      Voilà mon avis sur la question :-)
      Bonne journée.

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  6. Bonjour,
    Bonjour,

    Je me permets un léger complément. En effet, les cratères sont identifiés comme d'anciens lacs de lave et s’y balader vaut vraiment le détour ! Je ne m’étais pas fait la remarque mais c’est vrai que la ressemblance avec l’édifice formé dans la Plaine d’Holuhraun est frappante.

    Ces cratères sont intéressants car ils prennent une place importante dans l’histoire géologique de la Plaine des Sables. D’ailleurs, le sentier vers le Piton de Bert démarre sur des laves pahoehoe qui correspondent à des débordements de ces lacs. Sur certains affleurements, on peut remarquer qu’elles ne recouvrent que de quelques dizaines de centimètres les (fameux) lapilli qui qualifient la Plaine des Sables, remarquables surtout dans le secteur ouest.
    La zone entre le Piton Chisny et le Demi-Piton est un autre secteur intéressant d’observation car on peut remarquer de gros blocs avec une stratification nette mais dont le pendage (la pente de cette stratificatio) varie d’un bloc à l’autre. Ces blocs, appelés Gendarmes à La Réunion, sont des morceaux du Piton Chisny qui ont été arrachés par une coulée de ces cratères Aubert de la Rüe, coulée qui est venue s’épancher entre les deux pitons.
    Ces cratères constituent dont une preuve que la dernière activité dans la Plaine des Sables n’est pas celle du Piton Chisny, comme cela a longtemps été supposé.

    Bonne soirée,
    Ludovic

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  7. Merci à tous pour ces informations
    un lecteur

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