10 octobre 2015

L'incroyable champ de lave pahoehoe du Piton de la Fournaise

On assiste, depuis que la météo est redevenue favorable, à un spectacle extraordinaire à mon sens et, me semble-t-il, pas très fréquent au Piton de la Fournaise: la construction d'un champ de coulées Pahoehoe. Le tout grâce à l'excellente webcam du Piton de Bert installée par l'OVPF/IPGP, idéalement placée.

Avant d'aller plus loin, juste pour les lectrices/teurs qui ne sauraient pas très bien ce que sont les Pahoehoe, voilà une rapide présentation.

Il s'agit d'une morphologie particulière de coulées de lave. Les coulées Pahoehoe  ("Pa Oï Oï") ont
une surface lisse, aux reflets argentés. La lave qui les constitue est fluide et pendant leur progression leur surface se refroidit ce qui forme une sorte de pellicule, comme une peau, solide mais molle. Lorsque le débit de lave est très faible, cette peau parvient à contraindre la lave liquide, qui ne peut aller que dans la direction de plus grande pente: cela va former une sorte de tube, comme un boyau, qui va sinuer au gré des accidents du terrain.
Pendant l'éruption de nombreux boyaux progressent simultanément, se scindent ou se regroupent, se recouvrent etc etc. On appelle alors la coulée pahoeoe: "lave en tripes" ("Entrail lava flow") ou "lave en doigts" ("finger lava flow"), parfois "lave en boudin". Et c'est vrai qu'un champ de Pahoehoe ressemble parfois à un tas de tripes posé au sol... Voilà comment grossit un "doigt" (ou un "boudin", ou un boyau, au choix)....magnifique.










A d'autres moments, quand le débit est un peu plus fort, la coulée progresse un peu plus vite et cette même peau ne parvient plus à contraindre la lave liquide de manière aussi efficace: elle se déforme sous l'effet de l'écoulement, comme la peau du lait quand on le verse. Elle fait alors des plis qui, lorsqu'ils sont assez serrés, donnent l’impression d'avoir affaire à un tas de cordes posé au sol. Je vous le donne en mille: on l’appelle alors "lave cordée" (Ropy lava flow").







Lors d'une même éruption donc, en fonction du débit de lave et/ou de la pente du terrain, la coulée pahoehoe va passer de tripes en cordes et de cordes en tripes... on ne s'ennuie jamais à observer de phénomène.

Alors oui bien sûr, les coulées Pahoehoe, on connait à la Réunion, cela va sans dire. Alors en quoi ce qui se passe actuellement semble extraordinaire, puisque les pahoehoe sont si ordinaires sur l'île?

Mais parce qu'assister, en dehors du Kilauea à Hawaï, à la mise en place d'une telle zone de coulées pahoehoe est rarissime. Lors de la nombreuses éruptions du Piton, cette morphologie pahoehoe existe bien sûr, mais apparait  sur des coulées "normales", allongées dans la pente et pas simultanément sur une vaste surface.
La lave qui sort actuellement depuis la zone du cône éruptif alimente une zone qui doit maintenant avoisiner le kilomètre carré (1 million de m² tout de même), sur une épaisseur de plusieurs mètres. La lave ne progresse pas en un front unique alimenté par un chenal, comme ce fut le cas pour la majeure partie des éruptions historiques de ce volcan: c'est tout le champ de lave qui progresse de front !

Le seul champ de lave similaire dans son organisation, bien qu'incroyablement plus vaste encore, visible aujourd'hui au Piton est le CLEF (Champ de Lave de l'Enclos Fouqué) qui s'étend entre le rempart ouest de l'Enclos (sous le parking du Pas de Bellecombe) et le Dolomieu. Cette zone, que j'ai mise entre tiretés sur l'image ci-dessous, n'est en réalité que la partie visible du CLEF, qui a pu recouvrir, lors de sa formation, la majorité de l'Enclos Fouqué. D'après J.F Lénat et ses collaborateurs, qui avaient publié en 2001 l'article qui définit le CLEF, l'éruption qui a produit, au 18ème siècle, ce champ de lave exceptionnel a probablement duré plusieurs décennies, peut-être plus d'un siècle, et son point d'origine était situé au niveau de l'actuel Dolomieu.

Le CLEF n'est pas difficile à voir..de moins ce qu'il en reste


Mais revenons à ce qu'il se passe en ce moment-même. Tout d'abord je précise que je ne suis pas en train de dire que l'éruption en cours est comparable à celle qui a produit le CLEF: on en est très très loin. Mais il est clair que ce type de champ de lave est très rare au Piton de la Fournaise. Il serait d'ailleurs interessant de voir combien d'éruptions ont, depuis l'éruption du CLEF, produit un champ entier de laves pahoehoe, à l'extérieur du Dolomieu.
Je précise bien "à l'extérieur du Dolomieu" car avant 2007, lorsque le plancher de ce dernier était encore assez plat, des éruptions ont pu produire des champs de lave pahoehoe dans le Dolomieu (c'était le cas en octobre 2006 par exemple). Une pente faible est en effet necessaire à la mise en place de la forme pahoehoe.


Il est fascinant de voir grandir ce champ de Pahoehoe:  en accéléré, grâce aux images de la webcam du Piton de Bert, on dirait une masse grouillante. Acheminée par des tunnels connectés à la source, au niveau cône actif, la lave arrive sur le champ, perce en surface pour former des tripes/boudins/doigts qui coulent sur une distance relativement faible, s'arrêtent et se figent, tandis que d'autres percent, coulent et se figent à leur tour. L'action est sans cesse renouvelée, presque hypnotique. Ci-dessous un time-lapse en guise d'échantillon.


Rien dans tout ça n'a l'organisation habituelle des coulées mises en place lors de la majorité des éruptions historiques, et même au cours des 4-5 premières semaines de cette éruption. Pour s'en rendre compte il suffit de regarder deux images prises à deux étapes de cette éruption pour que cette différence saute au yeux.

Deux façons pour la lave de recouvrir le sol: en chenal en haut, en champ en bas.Images: OVPF/IPGP

Pourquoi un tel changement dans la manière dont la lave coule? Je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec un changement au niveau du magma. Cette transformation entre un écoulement "classique", sous forme de lave chenalisée, et ce nouveau mode sous la forme d'une multitude d'évents éphémères qui se superposent, a été progressive et s'est faite entre fin septembre et début octobre. En fait la zone où l’éruption a démarré n'avait pas, dès le départ, de pente très forte et l'accumulation de lave au pied du cône actif a finit par aplanir encore plus l'endroit. Or, souvenez-vous: les faibles pentes sont favorables à l'apparition de la forme pahoehoe.
Bref la formation de ce champ de lave semble plus tenir aux contraintes de la topographie et au débit de lave délivré par l'éruption (ni trop important ni pas assez) qu'à un changement dans les caractéristiques mêmes du magma. 
Mais pour être sûr de ce dernier point il faudra attendre le résultat des prélèvements qui devraient être, ou ont été, effectués par les volcanologues.
Cette éruption n'a donc pas finit d'être extraordinaire!

* je reviendrais plus en détail, dès que possible, sur la formation des deux principaux type de coulées de laves basaltiques: pahoehoe et aa

Mise à jour 16h41

Je viens de voir que l'observatoire a mis en ligne un nouveau bulletin qui indique que l'activité reste importante mais se trouve depuis quelques jours en phase de lente décroissance. Le débit de lave semble rester globalement constant mais la déformation maintenant sa tendance à la déflation (dégonflement). Le bulletin confirme que les coulées actuellement en cours sont de type pahoehoe.
Depuis la mise en ligne de ce post j'ai vu voir qu'en terme d'équivalent historique à la mise en place d'un champ de lave pahoehoe, l'éruption de 1998, très importante puisqu'elle a duré 5 mois et demie, pourrait avoir connu un épisode similaire.

Sources: OVPF/IPGP

2 commentaires:

  1. Bonjour

    Merci de mettre des mots et des explications sur les observations "amateurs" que chacun d'entre nous peut effectuer.

    les observations actuelles sont magnifiques, et la météo claire 24/24.
    ça donne envie de monter dans un avion...

    Bon WE à tous.

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  2. Plusieurs études ont essayés de comprendre quel facteur jouait sur le type de coulée et aucuns auteurs n’a réussi à l’identifier clairement : viscosité ? Pente ? Température ? Débit ? Surface de progression ? Chimie ?

    Même si la chimie des laves de l’éruption en cours a changé, ce qui semble être le cas, leurs analyses ne répondront donc pas à cette question. Concrètement, pour y répondre, il faudrait pouvoir observer une coulée de chaque type simultanément et observer les différences entre les facteurs évoqués plus haut.

    Ce qui est communément admis, c’est que les coulées pahoehoe ont un caractère « primitif », c’est-à-dire que qu’elles se mettent en place quand le magma ou la lave n’est pas perturbée, que ce soit par la pente, la richesse en gaz, une surface de progression rude…etc. Cela explique à la fois pourquoi on voit très souvent des coulées pahoehoe sur des zones planes et pourquoi les coulées en début d’éruptions sont exclusivement des grattons.
    Sur cette question, la science avance un peu à tâtons car elle est dépendante d’observations isolées. J’ai hâte d’avoir une réponse claire.

    Bonne journée,
    Ludovic

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