1 octobre 2013

La source de l'une des plus puissantes éruptions des 7000 dernières années retrouvée

C'est l'histoire d'un mystère qui a commencé en 1988 par la publication, dans les annales de glaciologie, d'une étude concernant une anomalie relevée dans des carottes de glace polaire. Les auteurs de cette étude, Langway JR, Clausen et Hammer, avaient en effet mesuré un pic d'acidité important (forte concentration en ions SO42- (ion sulfate)) sur plusieurs stations du Groenland et d'Antarctique, à des profondeur de glace correspondant à une année proche de 1259. Tout aussi
important: cette anomalie en ions sulfates était accompagnée de fragments de verre volcanique.

Le pic d'ions sulfates aux environs de 1259. Image: Longway et al 1988

L'hypothèse de ces auteurs était que ce pic, enregistré simultanément aux deux pôles, était le résultat d'une très violente éruption aux environs de 1259, suffisamment puissante pour perturber l'ensemble de l’atmosphère terrestre. Pour avoir un tel impact sur les deux hémisphères en même temps, le volcan source devait être situé dans la zone intertropicale.


Depuis lors, de nombreux candidats ont été proposés pour tenter, sans jamais être totalement convaincants, d'expliquer cette anomalie qui, du coup,  à commencé à devenir un mystère persistant, une sorte de graal volcanique.

Or une équipe internationale emmenée par le Français Franck Lavigne (cocorico), vient de publier les résultats de plusieurs années de travaux visant à déterminer la fameuse source et mettent visiblement fin au mystère: le volcan est un dénommé Samalas, qui n'est autre que l'ancêtre du Rinjani, sur l'île de Lombok, île voisine de la célèbre Bali.
Volcan Rinjani et la caldera de Samalas
Présentation des principaux éléments du volcan Rinjani.
Concrètement, comment cette équipe a-t-elle pu relier une couche de glace qui contient un peu trop de SO4 2- à l'une des plus puissantes éruptions de tout l'holocène. C'est là toute la magie de la volcanologie, ce travail d'enquête qui donne une vraie saveur à cette science si particulière.

Tout d'abord il faut bien se rendre compte que ces chercheurs ne sont pas partis de rien: cette équipe n'est que le maillon final de cette quête, qui se trouve au bout d'une chaîne d'autres équipes, d'autres disciplines qui  toutes, directement ou non, œuvrent à la résolution du mystère depuis presque 30 ans.



Une saison anormale en 1257. Image: Lavigne et al 2013
Des travaux avait déjà été réalisés sur l'étude de cernes de troncs d'arbres anciens (dendrochronologie) qui avaient, elles-aussi, enregistré une anomalie atmosphérique à cette période-là. La croissance des arbres, qui se manifeste par la taille des cernes, dépend en effet de nombreux facteurs atmosphériques, comme la température, la pluviométrie, la luminosité etc.
Des données historiques, médiévales,  font état, de leur côté, d'un épisode météorologique particulièrement anormal en Europe avec un été froid et très pluvieux en 1257, et un hiver chaud, avec floraison des pommiers dès janvier 1258.
Enfin des écrits historiques indonésiens relatent un événement de grande ampleur sur l'île de Lombok à cette époque. Les volcanologues avaient daté auparavant la formation de l'immense caldera de Segara Anak, plaçant son ouverture entre 1210 et 1260. Mais encore fallait-il relier cette éruption aux anomalies signalées aux 4 coins du globe, dans la glace ou les cernes de troncs d'arbre. Car d'autres éruptions de grande ampleur, et évoquées comme de possibles sources, ont eu lieu à cette même époque, en Equateur (Quilotoa), au sud-Mexique (El Chichon) ou en Nouvelle Zélande (Okataina). Alors comment faire la différence entre toutes ces éruptions?



On ne le dira jamais assez: la science, pour comprendre, a besoin en premier lieu de données. L'hypothèse du Rinjani comme possible volcan source est posée? Il faut donc prouver soit que c'est vrai, soit que c'est faux, et donc inévitablement se rendre sur place pour récolter le plus d'informations possibles. Pour tenter de retrouver les principaux paramètres de cette éruption (datation précise, volume de magma émis, hauteur du panache etc.), et enfin pouvoir lui donner sa véritable importance et en reconnaître les traces ailleurs sur Terre, les volcanologues ont décrypté pas moins de 130 affleurements (zones où les roches sont à nu), dispersés un peu partout sur l'île de Lombok.

Voilà quelques résultats issus de l'analyse des affleurements, de leur répartition et des roches qui les composent:

1- L'éruption s'est déroulée en quatre étapes distinctes mais qui se sont enchaînées sur une période courte de quelques jours seulement. La première (F1) est une phase éruptive d'une extrême puissance qui a généré une colonne de cendres dont l'altitude est estimée à 43 km! Elle n'aurait duré qu'environ 4 heures et libéré un volume de magma de 2.5 km3.

La seconde (F2), un peu moins intense, montre qu'il y a eu interaction avec de l'eau, mais elle n'est pas vraiment décrite dans l'article qui vient d'être publié.

Les auteurs se sont par contre attachés à la troisième étape (F3), similaire à la première mais qui s'est déroulée sur une période plus longue, estimée à 18 heures environ, et à généré une colonne de cendres d'environ 20 km de hauteur. Le volume de magma libéré par F3 est estimé à un peu moins de 2km3. Le tout est recouvert par de très volumineux écoulements pyroclastiques qui marquent l'effondrement de la caldera de Segara Anak et la disparition du volcan Salamas.

Les dépôts associés aux trois premières phases de l'éruption. Image: Lavigne et al, 2013

2- les datations C14 (carbone 14) faites à partir de bois carbonisé piégé dans les dépôts de l'éruption confirment toutes qu'elle s'est bien produite au milieu du 13ème siècle.

3- Le calcul de l'Indice d'Explosivité Volcanique, le VEI*, donne une valeur minimale de 7, sachant que le maximum connu est 8 (Taupo pour l'éruption d'Oruanui, il y a 26 500 ans). Le volume total de magma libéré sur quelques jours est estimé à 40 km3: de quoi recouvrir Paris de quasiment 400 m d'épaisseur de cendres!

4- la composition du verre volcanique retrouvé dans les glaces de Groenland est très semblable à la composition de cendres qui constituent les dépôts de cette éruption. Ceci constitue un point particulièrement fort dans l'identification de la source.

L'ensemble de ces données fait de cette éruption le meilleur candidat jamais répertorié pour expliquer les nombreuses anomalies constatées au niveau climatique en Europe au milieu du 13ème siècle, et corrélées à d'autres anomalies enregistrées tant dans les glaces des deux pôles que dans les cernes de troncs d'arbres.

Ce qui est fascinant dans cette affaire c'est que jusqu'à présent, bien que les volcanologues avaient déjà identifié la formation de la caldera de Segara Anak comme résultant d'un événement important, cette éruption était plutôt restée finalement assez peu étudiée et sa véritable importance, tant au niveau de sa très grande violence que de son impact planétaire, longtemps méconnue.
Mais ce que je trouve vraiment extraordinaire, et qui m'a toujours fait littéralement vibrer dans les Sciences de la Terre, c'est qu'il aura fallu (entre autres) un petit pic d'ions sulfates piégé aux pôles pour retrouver la trace d'une éruption géante proche de l'Equateur. C'est pas beau la science?

Sources:
Lavigne et al, 2013: "Source of the great A.D. 1257 mystery eruption unveiled, Samalas volcano, Rinjani Volcanic Complex, Indonesia"

Langway et al, 1988: "An inter-hemispheric volcanic time-marker in ice cores from greenland and antarctica." annales de glaciologie.


*: le VEI (Volcanic Explosivity Index) est une sorte d'échelle de comparaison de la magnitude des éruptions (volumes de magma libérés) qui joue un rôle similaire à l'échelle de Richter pour les séismes.

1 commentaire:

  1. Ta news est bien plus passionnante que celle que Pierre Barthélémy a écrite :-) La volcanologie comme le nucléaire par ailleurs ne sont pas sa spécialité et cela se sent ! Il me semble qu'il est bien plus calé en cosmologie ou astrophysique par exemple. Mais la volcanologie étant à la mode, en ce moment il s'y intéresse plus que d'habitude ...

    Pierre Q

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