15 avril 2016

Volcan Nyamulagira: le lac de lave a disparu

Je dois remercier l'un de mes lecteurs les plus assidus* pour cette info assez inattendue: il n'y a actuellement plus de lac de lave au fond du Nyamulagira. Ce dernier avait vraisemblablement fait timidement son apparition début 2014 (avril, peut-être même janvier). Puis entre fin 2014 et fin 2015 il avait gagné en surface, s'élargissant très progressivement. 
En février 2016 encore le lac était très actif, vigoureux, mais depuis lors tout s'est arrêté.
Les données du MIROVA indiquent en effet que depuis tout début avril les signaux thermiques ont disparus à priori d'un coup, en l'espace d'une, peut-être deux, journées, autour du 01 avril. Cette variation, qui semble brusque, à de quoi étonner, et même inquiéter à priori.

Évolution du rayonnement thermique émis par le Niymulagira, capté depuis l'espace. Image: MIROVA

La disparition du lac a pu être constatée de visu par le volcanologue et géochimiste Italien Dario Tedesco (Université de Naples), qui connait parfaitement bien les volcans Nyiragongo et Nyamulagira puisqu'il a longtemps travaillé à l'Observatoire Volcanologique de Goma (OVG), et l'UNOPS, l'antenne des Nations-Unies qui travaillent dans la région sur les risques naturels. Le constat de la disparition du lac a été fait lors d'un survol par hélicoptère réalisé le 06 avril par l'OVG, avec le soutient technique de l'UNICEF et du MONUSCO. Ci-dessous, l'une des images réalisées pendant le survol, et extraite du rapport publié par Mr Tedesco. On distingue dans le tiers supérieur de l'image un léger spot incandescent, qui peut être un évent libérant un jet de gaz à haute température.

Le fond du cratère du Nyamulagira: ne reste qu'un important dégazage. Image: auteur non précisé (peut-être Mr Tedesco lui-même)/ mission OVG/UNICEF/MONUSCO du 06 avril 2016

Alors que faut-il penser de cette nouvelle situation?
Le dégazage reste abondant d'après les images et il n'est pas impossible que la colonne de magma qui entretenait le lac soit simplement descendue dans son conduit et soit actuellement seulement invisible.
Toutefois le rapport publié par Mr Tedesco indique que cette disparition, qui parait très brusque, n'a pas été totalement une surprise car, ces derniers mois, l'OVG a enregistré la présence de signes avant-coureurs d'une baisse de la vigueur de l'activité. En particulier la composition du panache de gaz, qui a fortement évolué depuis les mesures faites en octobre. La quantité de SO2, l'un des principaux gaz magmatiques, a ainsi diminué par exemple. Cela peut signifier que la masse de magma qui entretenait le lac en surface est arrivé au bout de son dégazage. Or l'échappement des gaz est le moteur de toute activité éruptive: plus assez de gaz = plus d'activité en surface.

Le rapport pose toutefois une question essentielle: est-ce que la disparition du lac est vraiment due à la fin de l'activité éruptive, c'est-à-dire au dégazage du magma qui était remonté pour former et entretenir le lac?
Ou des fractures internes au volcan se seraient-elles ouvertes, drainant au passage le lac?
Dans le premier cas, il n'y a aucun problème à craindre à court ou moyen terme. Mais si la seconde solution devait être la bonne, alors on pourrait craindre que certaines de ces fractures ne s'ouvrent à court terme sur les pentes du volcan, ce qui déclencherait alors une seconde phase de cette éruption, latérale cette fois, avec des coulées de lave. Voyez que la question mérite d'être posée.
Pour l'heure, aucune des deux solutions n'est privilégiée, car seule la surveillance géophysique (sismicité/déformation) pourrait donner des indices de ce qu'il se passe.

En théorie:

* dans le cas de l'arrêt pur et simple de l'éruption, la sismicité revient à son niveau de base, la déformation se stabilise, après une éventuelle phase de déflation (dégonflement du volcan).

* dans le cas de la mise en place de fractures internes au volcan, la sismicité reste haute, avec vraisemblablement des secousses dues à cette fracturation et peut-être même des secousses LP (déplacement du magma), voire pourquoi pas un peu de trémor. Et surtout la déformation permettrait de voir que les flancs se déforment sous l'effet de l'intrusion des filons de magma ce qui, au passage, pourrait donner une indication sur le secteur du volcan duquel pourrait sortir la lave.

En attendant d'en savoir plus, il y a fort à parier que l'OVG restera vigilant quand à la situation.

Pour terminer en restant dans le sujet, je tiens à citer la publication en mars, dans le Journal of Volcanology and Geothermal Research (JVGR), d'un article concernant ce volcan. Cette publication, pilotée par Diego Coppola, explique que, selon l'analyse des données récoltées, l'apparition du lac pourrait bien être une conséquence de l'importante éruption fissurale de 2011-2012. En effet, suite à l’importante vidange des conduits de l'édifice par cette éruption, le système de plomberie s'était fortement réajusté, ce qui s'était traduit par l’apparition au sommet du volcan de Pit Craters (effondrements verticaux). La configuration nouvelle de cette plomberie modifiée aurait été favorable, lors de la réalimentation suivante, à la montée du magma neuf jusqu'au sommet, ce qui a donné naissance au lac de lave en 2014.
Outre Mr Coppola, cet article a été co-écrit par Mr Tedesco et par Robin Campion, volcanologue qui intervient parfois sur ce blog dans les commentaires, et dont le lien vers le blog personnel est dans la colonne de droite,

Sources : Rapport de Dario Tedesco/Second University of Naples & European Union – Goma Volcano Observatory DRC; With the technical assistance of UNICEF. Mes remerciements à nouveau à la personne qui m'a transmis le rapport*
"Birth of a lava lake: Nyamulagira volcano 2011–2015", D.Coppola et al, 2016, dans le JVGR

* qui souhaite garder l'anonymat

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