27 novembre 2016

Tor Zawar: volcan ou non?

La base de données référence, mondiale, du volcanisme actif est le Global Volcanism Program, hébergée par la Smithsonian Institution. La parcourir est un bonheur pour les volcanophiles et, comme dans tout travail de synthèse et de classement, il y a des choses moins "nettes" que d'autres, des sortes d'anomalies. Tor Zawar est en une (en plus de Dallol, classé comme un volcan malgré la totale absence de lave).

Tor Zawar est une zone Pakistanaise située à une centaine de kilomètres au sud de la frontière avec l'Afghanistan. L'endroit se trouve au cœur d'une zone de moyennes à hautes montagnes qui peut être vue comme l’extrémité ouest de la chaîne Himalayenne. Plus précisément c'est une portion de la chaîne appelée Monts Sulaiman, qui prolonge la chaîne Himalayenne vers le sud-ouest, jusqu'à sa disparition en mer Arabe.

En ce qui concerne le contexte géologique, le paysage de la région est le résultat de la collision* entre l'Inde et le continent Eurasiatique qui a débutée il y a 45 millions d'années. Les roches que l'on y rencontre sont de plusieurs types mais presque toutes d'origine sédimentaire, c'est-à-dire liées soit à une activité biologique (dépôts de coquilles, ou "tests", de microorganismes marins), soit à l'érosion de reliefs anciens et aux dépôts des sédiments ainsi formés (argiles, sables etc).
Les roches présentes sur le site ont été regroupées en plusieurs ensembles, ou groupes, par les géologues, en fonction de leur époque de formation. L'un de ces groupes a probablement son rôle dans le mystère qui nous occupe aujourd'hui: celui dit "de Bibai". Il date de la fin du Crétacé (un peu plus de 65 Millions d'années) et est constitué de roches sédimentaires dont l'origine est volcanique**.
Au moment où ce volcanisme sont actif, les continents Inde et Eurasie sont séparés par un océan, la Téthys, et ce dernier est en cours de fermeture. Autrement dit: les deux masses continentales sont alors en rapprochement. Le long de la côte Eurasiatique existe vraisemblablement un chapelet d'îles volcaniques, petites et/ou grandes, un peu à la manière de ce que l'on trouve aujourd'hui à l'ouest de l'océan Pacifique par exemple.


La zone de Tor Zawar au Crétacé supérieur. Image:  Ron Blakey/Global Paleogeography


Que s'est-il passé à Tor Zawar?

Tout commence le 27 janvier 2010. Ce jour-là les habitants de la petite bourgade de Wam subissent un séisme, fréquent dans la région du fait de la collision Inde-Eurasie. Il n'est pas très intense, magnitude 3.9, et son foyer (le point de départ des ondes sismiques) a été estimé à 60 km de profondeur. Les habitants décrivent peu après, au pied de la falaise voisine, des lueurs. Des géologues rendus sur place quelques jours plus tard observent une série de fissures desquelles a été émise une lave noire.
L'ensemble se présente sous la forme d'un tas ressemblant à un petit cône fripé d'où est sortit une courte coulée longue de 8m, large de 2 m et épaisse de 15 à 60 cm. L’ensemble fait un peu penser à un tas de caramel qui aurait été versé sur le sol mais se serait consolidé avant de s'être totalement étalé. Le volume émis est estimé à....5 à 7 m3! C'est ridiculement faible: de quoi remplir 2 Kangoo II en mode utilitaire!

Une partie du tas de lave retrouvé à Tor Zawar en 2010, en haut sur place, en bas, transporté au labo. Image: Kakar, in Durrani (2010), via GVP
Mais si le récit ci-dessus parait précis, le déroulé des événements se révèle en fait, dès le départ, pas très clair. Pour certains cette émission de lave se serait produite le 27 janvier, pour d'autres ce serait le 29 janvier, pour d'autres encore il y aurait eu des lueurs plusieurs nuits au sommet de la montagne avoisinante puis l'"éruption" le 01 février. Déjà, le mystère commence avec la date de l'événement. Mais à la limite ce n'est pas vraiment le plus important.
Moins d'une semaine plus tard des géologues arrivent sur place pour faire les premières observations. La première chose remarquée c'est que, bien que le tas de lave soit solidifié, la chaleur émise est encore très importante, suffisante pour enflammer des herbes sèches. En fait, et c'est un autre élément du problème et source du mystère, quand je dis "le tas de lave", je dois préciser "ce qu'il en reste". Car durant la semaine écoulée avant l'arrivée des géologues, les habitants du coin ont prélevé une bonne part des roches, en guise de souvenirs...Les descriptions que les géologues recueillent semblent indiquer la présence d'un "tas de scories" et la coulée de lave a en fait déjà été détruite.
Mais il reste encore le tas pris en photo (ci-dessus), qui été enlevé pour être analysé en laboratoire. Au moment de l'excavation  les géologues ont découvert, sous le tas, un tube en lave noire large de 5cm et s'enfonçant sur plus d'un mètre de profondeur. Son centre semble percé d'un trou régulier .

Le tube découvert sous le cône de lave. Image: Rana and Akhtar (2010), via GVP

En quoi est-ce un mystère?

Dès le départ une première question d'ordre technique, scientifique, se pose: est-il possible qu'une éruption, dans une zone connue pour son absence d'activité volcanique depuis des dizaines de millions d'années, puisse n'émettre que quelques mètres cube de roche fondue?

Historiquement, jamais aucune éruption naturelle n'a émis aussi peu de magma. La raison principale se trouve dans le manteau terrestre, la source de la majeure partie des magmas, et dans la façon dont se passe sa fusion.
Pour faire simple, le magma se forme à la jonction entre les cristaux qui composent le manteau. Il a été démontré expérimentalement qu'il ne peut apparaître, sous forme de microscopiques gouttelettes, qu'à ce contact, jamais au coeur des cristaux. Au fur et à mesure que ces derniers fondent le volume des gouttelettes augmente et elles s'insinuent de plus en plus entre les surfaces des cristaux en contact. Lorsqu'elles se rejoignent enfin, un réseau est formé et le magma peut commencer à y circuler.

Les étapes de la formation du magma. Etape1 : pas de magma/ Étape 2: apparition des gouttelettes aux points triples entre les cristaux/Étape 3 : coalescence des gouttelette et formation d'un réseau.
Pourquoi le magma ne reste-il pas simplement là au lieu de remonter? Parce que la roche liquide (magma) est moins dense que sa roche-source solide (manteau) et qu'elle n'a donc pas plus la possibilité de rester à sa place qu'une goutte d'huile au fond d'un verre d'eau.


Mais rien qu'à ce stade le volume total de magma produit par le manteau se compte en millions ou dizaines de millions de mètres cubes, car la zone du manteau qui produit le magma est très étendue.

Ce magma se stock, généralement, à la limite entre manteau et croûte terrestre, puis finit par remonter à la faveur de fractures qui existent déjà, ou qu'il ouvre lui-même. Pour pouvoir effectuer ce difficile transfert à travers la croûte il faut qu'une quantité importante de magma soit présent, pour développer une force ascensionnelle suffisante.
C'est la raison pour laquelle aucune éruption naturelle n'a jamais été observée avec un volume aussi faible que 6 m3. Généralement on parle au minimum de milliers de m3 émis, plus souvent encore ce sont des dizaines de milliers ou des millions de m3.

Ce transfert à travers la croûte est d'autant plus difficile ici, dans un contexte géologique de collision, car:
- les fractures et failles sont fermées et...
-...l'épaisseur de croûte continentale à traverser est bien plus importante (quasiment le double) que celle d'une croûte continentale normale.

Pour autant cela signifie-t-il que ce soit absolument impossible? Il ne faut jamais dire "jamais", parait-il. Or puisqu'on ne peut pas éliminer purement et simplement une hypothèse parce qu'on y croit pas ou qu'elle nous semble invraisemblable, il est nécessaire d'aborder le problème par....

... une seconde question d'ordre scientifique: est-on sûrs de la source de cette lave?

Pour le moment je n'ai volontairement employé, pour décrire cette roche, que le mot "lave" car, il n'y a pas de doute là-dessus: ce qui a été trouvé est bien une roche qui s'est trouvée à l'état de fusion. Mais quid de sa composition? Les 2 échantillons prélevés ont été analysés à l'Université de Cardiff. L'un d'entre eux est un basalte alcalin, c'est-à-dire une lave plutôt pauvre en silice, riche en magnésium, sodium et potassium, l'autre est une andésite basique, un poil plus pauvre en magnésium et appauvri de manière significative en potassium et sodium. Deux laves différentes émises au même moment, au même endroit, lors du même événement.... pour un volume total de 6 m3. C'est plus que "pas commun": c'est à la limite du vraisemblable et, de fait, incroyable.

Pour simplifier j'emploierai le terme de "basalte" au sens large pour parler de cette roche. Il se trouve que les analyses de ce basalte pour les deux échantillons montrent des caractéristiques très proches de celles des basaltes...de Bibai.
J'en ais parlé plus haut mais, pour mémoire: tout autour de la zone où s'est déroulée cet événement, les roches sédimentaires sont des alluvions anciens, déposés à la fin du Crétacé. Ils sont très sombres car constitués de galets de basaltes, produits par l'érosion d'anciens volcans.

Comment savoir alors  si le basalte émis en janvier 2010:
- provient bien du manteau terrestre malgré la question n°1, ou...
-... s'il s'agit-il de basaltes de Bibai refondus? Encore faut-il dans ce cas trouver un phénomène agissant à la surface de la Terre qui apporte assez d'énergie pour faire fondre plusieurs mètres-cubes de roche. Et ça, ce n'est pas évident car la température de fusion est de l'ordre de 1100-1150°C, et encore, si elle est maintenue assez longtemps. Il est donc extrêmement difficile de faire fondre ces quelques m3 de roche, surtout de manière naturelle.

Bref: voyez que Tor Zawar reste décidément bien mystérieux.

Le basalte de Tor Zawar

C'est sur l'origine, profonde ou superficielle, que les scientifiques ont une opinion divergente. Dès 2010 une équipe, emmenée par Andrew C. Kerr a argumenté en faveur d'une origine profonde, mantellique faisant de ce basalte une roche volcanique classique. L'autre, emmenée par le docteur Akhtar. M.Kassi argumente au contraire en faveur d'une origine très superficielle et même partiellement anthropique.

On peut difficilement proposer des hypothèses plus opposées, je crois: le mystère ne fait que s'épaissir.

L'idée soutenue par Akhtar. M.Kassi: impact de foudre

Le tas de basalte se trouve en effet à proximité (5m) d'un pylône électrique, dont l'un des câbles a été sectionné au moment de l'"éruption". Le cylindre de basalte large de 5cm (qui semble percé en son centre) dont j'ai mis la photo plus haut pourrait avoir été formé autour d'un câble métallique, ce qui expliquerait la présence de l'orifice et la structure en couches concentriques. Je n'ai toutefois pas trouvé de mention claire concernant la présence de câble ou résidu de câble dans ce cylindre dans les descriptions. Le docteur Kassi a publié un article très intéressant en 2013 montrant par ailleurs que d'autres phénomène de fusion, similaires à ceux de Tor Zawar, ont été observés: un autre à Tor Zawar en 2011 (à 300m du site de 2010), puis un à Jang Tor Ghar, au Pakistan. A chaque fois il y avait des pylônes électriques. Ces basaltes sont donc pour lui des fulgurites, roches formées au moment des impacts de foudre. Le docteur Kassi a obtenu la confirmation qu'au moment de l'événement de 2010, la météo était à l'orage.

L'un des câbles issu du pylône s'enfonce à l'endroit où le basalte a été émis. Image: A.M.Kassi et al, 2013
Pour ce chercheur donc, Tor Zawar n'est pas un événement volcanique.

L'idée soutenue par le docteur A.C Kerr et ses collaborateurs: une origine profonde, mantellique

Pour cette équipe toutefois l'analyse des basaltes, et du site de l'éruption ne laisse que peu de doutes quand au fait que cet événement est magmatique, et donc d'origine profonde***. Malgré la présence des pylônes électrique, A.C.Kerr et ses collègues font prévaloir le fait qu'il n'y a que peu d'évidences sur le terrain, d'une fusion des roches sédimentaires en place. En effet, il n'y a que très peu de reliques de ces roches dans les basaltes récoltés à Tor Zawar, même si quelques fragments de roches riches en silice, refondus, ont été observés. Par ailleurs pour cette équipe une fusion à au moins 90 % de roches de la formation Bibai aurait produit un basalte de composition particulière: l'adakite. D'un point de vue de la composition donc, l'hypothèse électrique ne semble pas coller.

Par ailleurs, dans le but d'étayer sa propre hypothèse, A.C.Kerr indique que d'importantes failles sont présentes sur le secteur et sont donc susceptibles d'avoir permis la remontée d'un peu de magma. Il observe par ailleurs que l'un des échantillons est très riche en bulles ce qui, pour lui, argumente en faveur de l'hypothèse d'un magma jeune, frais, d'origine profonde. Analysant la composition de ces échantillons, il déduit que le magma initial, issu du manteau, s'est en partie déposé sous la forme de cristaux d'Olivine et de Spinel, le reste ayant subi un mélange avec des roches sédimentaires au cours de sa remontée, avant qu'une fraction ne fasse éruption.
La présence de volcanisme en contexte de collision n'est, en outre, pas impossible: il suffit de regarder 1000 km au nord-est pour tomber sur le champ volcanique de Kunlun, avec ses cônes et ses coulées coincés à plus de 4700 m d'altitude entre des sommet himalayens dont certains dépassent les 6000m (même si, dans le détails, la tectonique locale est très différente dans les deux sites).

Conclusion

Pour l'heure la question de l'origine du basalte de Tor Zawar n'est pas officiellement résolue. Un article, le dernier en date me semble-t-il, qui fait mention de l'événement est celui du docteur Kassi en 2013, qui expliquait comment des basaltes similaires s'étaient formés à proximité de pylône lorsque la foudre les impactait, puis faisait fondre les roches à proximité. Il aurait pu s'agir là de l'explication officielle cependant une mise à jour de la base de données du Global Volcanism Program a été réalisée il y a 2 ans, mise à jour pendant laquelle des volcans ont été ajoutés, d'autres enlevés (comme la zone des geysers d'El Tatio par exemple mais il y en a eu d'autres)...mais pas Tor Zawar. De fait, pour la Smithsonian Institution, la nature volcanique de l'événement reste une posibilité vraisemblable.
Le Global Volcanism Program expose d'autres hypothèses avancées, mais visiblement peu soutenues comme, par exemple:
* la combustion de méthane qui aurait refondu localement les roches de la formation Bibai
* la formation de magma le long d'une faille importante qui passe dans la zone, suite à un séisme qui avait eu lien en 2008.

Mais en tout état de cause, personne ne s'est accordé de manière ferme et définitive sur l'origine de ce basalte: la question de savoir si Tor Zawar est bel est bien volcanique reste ouverte.

Sources: Global Volcanism Program: Tor Zawar

A.M.Kassi et al, 2013: "Occurrences of rock-fulgurites associated with steel pylons of the overhead electric transmission line at Tor Zawar, Ziarat District and Jang Tor Ghar, Muslim Bagh, Pakistan", in Turkish Journal of Earth Sciences.

A.C.Kerr et al, 2010: "Eruption of basaltic magma at Tor Zawar, Balochistan, Pakistan on 27 January 2010: geochemical and petrological constraints on petrogenesis", in Mineralogical Magazine

* personnellement je ne suis pas trop partisan, dans le contexte de médiation des Sciences, de ce terme "collision" qui est accompagné, dans le vocabulaire courant, d'une notion d'instantanéité. Raison pour laquelle tous les documentaires qui parlent des collisions entre continents en font des événements soudains et exclusivement situés dans le passé. En réalité, en ce qui concerne la collision Inde-Eurasie, elle commence il y a environ 45 millions d'années  et n'est pas encore tout à fait terminée.

** non non ce n'est pas une erreur de ma part: il s'agit tout simplement de roches volcaniques érodées.

*** et que, de fait, Tor Zawar est bien une zone volcanique

3 commentaires:

  1. Lorsque cette nouvelle est parue dans les médias en 2010 je me suis immédiatement souvenu du même phénomène sous un pylône électrique en Italie. Il m'avait été décrit par le très honorable professeur de pétrographie métamorphique Roberto Compagnoni

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  2. Il avait été appelé sur place pour étudier les roches fondues et avait clairement établi le lien avec le pylône électrique

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    1. Bonjour Myristica.
      Il semble que le Global Volcanism Program ait finalement fait son choix aussi. J'ai rédigé l'article fin 2015 ou début 2016 je ne sais plus. Je l'ai relu et corrigé jusqu'à l'été 2016 et la fiche de Tor Zawar était toujours présente: je viens de regarder et elle ne l'est désormais plus, visiblement depuis la dernière mise à jour du GVP, en septembre.

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